Michel Barabel se définit lui-même comme un slasheur : il est à la fois enseignant chercheur, directeur des éditions du lab RH, co-fondateur du mag RH (trimestriel digital gratuit sur des thématiques RH) et consultant à travers sa direction du groupe Dever, qui produit des veilles scientifiques à l’attention des entreprises. On note tout de même les fils conducteurs que sont l’écriture, la pédagogie et évidemment les ressources humaines. Dans cette interview, il nous parle de la place croissante qu’occupent les soft kills dans un monde de plus en plus digitalisé.
Quels sont pour vous les changements apportés par le digital au sein des ressources humaines et les nouveaux enjeux impliqués par ces changements ?
On constate depuis une dizaine d’années, et ce avec une accélération sur les cinq dernières années, une phase de forte innovation technique et digitale : internet, le cloud, l’imprimante 3D, la block chain, la réalité virtuelle, la réalité augmentée… Elle se diffuse beaucoup plus rapidement qu’avant grâce aux effets réseaux et a un impact plus disruptif et rapide sur les entreprises et les individus.
Les barrières à l’entrée sont partout amoindries, et notre environnement est beaucoup plus compétitif, notamment pour les individus dont les compétences se périment plus rapidement. Au niveau RH cela induit plusieurs conséquences : la dématérialisation des processus RH (univers anciennement très papier), ou encore l’amélioration des services RH, grâce à des formations à distance par exemple, ou à des outils technologiques qui permettent par exemple des gains de temps et moins de déplacements.
Si l’on ajoute à cela le fait que l’on évolue dans un monde plus concurrentiel et incertain, les gens se retrouvent obligés de développer par nature des capacités à coopérer, d’être plus innovants qu’avant, d’avoir des organisations plus agiles, de mettre en place des dispositifs plus créatifs, de valoriser plus qu’avant la prise d’initiative, la prise de risques et l’effet erreur… Donc au-delà des outils, on constate que cela modifie aussi les cultures et les organisations des entreprises.
Qu’est ce que l’on doit regarder quand on recrute un spécialiste de la transformation digitale ?
« Ce qui est important, et cela ne vaut finalement pas que pour les profils digitaux, c’est qu’à partir du moment où la durée de vie d’une compétence diminue, on recrute de moins en moins sur la base d’un portefeuille de compétences techniques, mais plus sur la capacité d’un individu à apprendre de nouvelles compétences. »
Ainsi, savoir apprendre, avoir envie d’apprendre, faire le deuil de ses compétences passées, rester ouvert d’esprit, sont autant de qualités que l’on va rechercher aujourd’hui sur le marché du travail.
Il y a donc une forme de revanche des soft skills : la faculté d’innovation, l’esprit critique, la capacité à penser de manière systémique, la facilité de collaboration deviennent des éléments différenciant et quasi disqualifiant lorsqu’on ne les possède pas. On attend des gens qui accompagnent la transformation digitale qu’ils soient en avance de pont sur ces compétences critiques. Etre un spécialiste de la transformation digitale c’est bien sûr posséder une appétence pour les nouvelles technologies, mais c’est surtout être capable d’exemplarité dans ses capacités à apprendre pour accompagner les gens et les faire travailler ensemble. On valorise les profils empathiques, en capacité d’inspirer et d’insuffler des dynamiques collectives.
Comment est-ce que vous définiriez l’organisation en entreprise aujourd’hui ?
Très clairement, l’entreprise taylorienne et les jeux politiques ne sont pas morts. C’est illusoire de penser qu’on a basculé dans du collectif non hiérarchisé, où l’on valoriserait uniquement la différence et l’intelligence collective. La réalité, notamment en termes de formations proposées, ne colle pas encore avec les besoins du marché du travail. Il y a des barrières culturelles, il faut apprendre à penser dans un nouveau monde et à accepter les nouvelles règles du jeu. Il y a aussi des barrières liées au système éducatif qui est encore énormément porté sur la compétition dès le plus jeune âge, avec la culture du diplôme, et encore des grandes écoles. Il y a enfin des barrières technologiques, car nous héritons de systèmes d’information particulièrement lourds. Et n’oublions pas non plus l’existence de nos barrières processuelles et bureaucratiques ancestrales.
L’objectif avéré est donc de basculer vers des organisations qui misent sur l’intelligence collective, l’hétérogénéité, la prise de risques, l’innovation et des outils très user experience. C’est vers ce genre de profils qu’il faut tendre.